ICE (Initiative Citoyens en Europe) est une association loi 1901, créée en 1989. Elle est, à l'origine, le produit de l'adhésion d'hommes et de femmes libres qui ne conçoivent pas de vivre en Europe sans tisser des liens de solidarité élémentaires entre Européens.
Depuis plus de vingt ans, ICE se propose de contribuer au développement d'un "espace public d'échange intellectuel et de réflexion sociale et politique, où puisse s'affirmer la résistance aux irrationalités et aux limitations de la démocratie dont l'Europe a si souvent été le théâtre; un espace indépendant des puissances économiques, des autorités religieuses, des gouvernements et des partis politiques."
Ci-dessous les dernières publications d'ICE : Les talibans tentent d’éliminer les femmes du social, Un pouvoir russe qui broie ses opposants, Pour une fondation européenne sur la prévention des risques, La COVID-19 et l'Europe
Les talibans tentent d’éliminer les femmes du social
Par Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue et vice-présidente d'ICE
Tribune publiée dans Le Monde le 15 septembre 2021
Zarifa Ghafari, première femme afghane élue maire, expliquait le 4 septembre, dans les colonnes du Figaro Madame, que les talibans « tentent de faire disparaître l’identité des femmes, de les faire disparaître de la société. Ils les effacent même des murs en recouvrant leurs visages sur les affiches. Ils refusent qu’elles travaillent, qu’elles étudient et même qu’elles sortent ». Elle définit ce que le pouvoir taliban tente de faire aux Afghanes : les exclure de tout enseignement et de tout travail rémunéré, éliminer leur image physique distinctive partout dans l’espace public. Chassées des institutions sociales, elles doivent l’être aussi du monde du dehors et ne plus être reconnues en tant que femmes dans les rues, ni même figurées sur un mur.
Ce pouvoir vise donc une double disparition des femmes dans la société extérieure : à une exclusion sociologique effective s’ajoute une tentative d’effacement de l’identité de genre féminin dans l’imaginaire collectif officiel. Les moyens de cette double exclusion sociale sont : une drastique perte d’autonomie avec l’empêchement de la solitude « choisie », non seulement dans les rues mais aussi dans la vie, avec l’interdiction du célibat ; la disparition dans l’espace public de toute visibilité des corps et visages féminins grâce au voile intégral opaque et déshumanisant, et le confinement forcé dans la sphère privée familiale.
Interdiction de la solitude choisie
Pouvoir circuler librement dans l’espace public et faire face aux autres, visage découvert, deviendra impossible pour les femmes car il ne faudra plus qu’elles soient vues dans le monde commun extérieur, où pourtant on naît, on fait sa vie et où l’on meurt, où l’on travaille et où, parfois, l’on vote.
La solitude choisie est interdite aussi : il faut un gardien, un homme à côté, ce qui constitue un déni insensé de l’existence adulte des femmes. Bien sûr, comme toujours, elles vont ruser de façon géniale, elles vont retourner toutes ces entraves dans l’autre sens, mais le piège des croyances religieuses traditionnelles va aussi entraîner le consentement de bien des femmes à cette situation, notamment la nécessité du mariage pour leurs filles, afin qu’elles soient protégées.
N’oublions pas aussi la terreur de la loi islamique pour soi et les siens. Petit à petit, les Afghanes vont disparaître des secteurs-clés de production et seront écartées de tout le savoir technique et théorique que ces secteurs mettent en œuvre. Elles seront alors chassées non seulement du dehors physique mais du fonctionnement même de leur propre monde social.
Empêcher la rencontre des corps
La burqa chosifie le corps féminin et en occulte la silhouette distinctive : reste çà ou là un cube rectangulaire, une « borne » de pierre posée sans voix ni regard ni courbe de la hanche… Effacer les formes d’un corps, c’est dénier la forme de vie dont tout ce corps particulier offre une signature : croiser physiquement l’autre dans les rues de la ville, c’est, au travers de sa présence entraperçue, ressentir aussi toute la forme de sa vie possible, supposée, dont ce corps témoigne. Croiser une femme, un enfant, un homme, une vieille femme dans la rue, c’est immédiatement croire en leur existence propre et ouvrir les questions que leurs manières d’être au monde posent. Empêcher toutes ces rencontres des yeux, ces croisements entre les corps, toujours aléatoires dans les rues d’une ville, c’est détruire cette beauté joyeuse née de la diversité des présences humaines.
De même, interdire la musique en général relève de l’amputation de la moitié du monde perçu, de son appauvrissement épouvantable quand les possibilités de chanter la joie, la douleur, quand celles de vivre en musique des émotions humaines encore dénuées de langage n’existent plus. Plus qu’un interdit, il s’agit bien de la part de ces talibans, pour lesquels le sinistre est preuve de vertu, d’un crime contre la beauté.
Extermination symbolique
Le retour caricatural de cette version religieuse dure de la domination politique masculine sur les femmes, que les talibans montrent à l’ensemble de la planète, oblige à définir les crimes spécifiques qu’ils décident contre elles : qu’est-ce que les talibans tentent de faire aux femmes ? Il ne s’agit pas seulement d’atteintes rétrogrades aux droits humains fondamentaux, mais d’une tentative particulière de les éliminer du social, une espèce d’extermination symbolique avec relégation forcée derrière les murs de l’espace privé, un statut social inférieur de naissance. Les femmes sont toujours coupables d’être elles-mêmes, leur identité physiologique est diabolisée officiellement
"A défaut de pouvoir les éliminer physiquement reste le déni obscène de leur existence visible : tenter de ne plus les voir pour qu’elles ne soient plus"
Mais il est impossible d’exterminer physiquement toutes les femmes, car ils sont obligés de les garder pour qu’elles fassent leurs fils et triment dans leurs maisons, dans un travail incessant, invisible, et nécessaire au fonctionnement social général. Elles sont la moitié du monde. A défaut de pouvoir les faire disparaître toutes, il reste le déni obscène de leur existence visible : impossible de les éliminer physiquement mais ils peuvent tenter de ne plus les voir pour qu’elles ne soient plus.
Avec le temps, elles tomberont dans un état sanitaire de plus en plus dégradé : la privation à long terme et à bas bruit de vitamine D, conséquence de la couverture de tout centimètre carré de peau au-dehors, va se conjuguer avec les effets destructeurs d’accidents sanitaires démultipliés dans le cadre d’un mode de vie enclos épuisant : les niveaux de morbidité et de mortalité infantile vont exploser. Dans le cadre d’un système de soins pratiquement inexistant en ce qui concerne les femmes, l’enfermement forcé derrière les murs de la maison va transformer le huis clos familial en un lieu de fermentation des frustrations et des rancœurs chez les Afghans de tous âges et de tous sexes, mais dans un cadre qui donne le pouvoir aux hommes de la famille.
Les femmes subiront les effets destructeurs et pervers d’une forme de vie intime familiale, où l’injustice systémique exercée à tous les niveaux et en permanence contre elles va les miner au quotidien. Injustices sociales et familiales alourdies d’une potentielle dimension de sadisme sexuel, comme trop souvent lorsque les victimes sont des femmes. Injustices contre les filles et femmes de la famille, commises parfois par les fils même, fils pour lesquels elles se jetteraient pourtant dans le feu. D’où ce déchirement particulier et tragique de la condition féminine au sein d’un foyer où règne une domination masculine sacralisée par le religieux et institutionnalisée par le politique, déchirement qui touche au plus profond du lien de parentalité.
Un confinement transformé en piège
Les conditions de dysfonctionnement au sein de l’espace familial clos vont s’amplifier et se retourner mécaniquement contre les Afghanes. Le confinement forcé dans l’espace privé peut alors se muer en piège de genre majeur, où ce qui aurait dû être le lieu du réconfort se mue en cycle infernal des pires crimes commis contre les femmes, par des hommes, maris et fils, pères, mères et belles-mères souvent, dans le cadre d’une formidable impunité, quand toute la culpabilité du crime est portée par la victime. Mais les femmes sont fortes et intelligentes, elles vont tout mettre en action pour résister, et 2021 n’est plus 1996 : elles ont déjà commencé, dans de magnifiques manifestations historiques ! Et la communication numérique va aussi jouer son rôle de lien avec l’extérieur. De plus, il y a bien des hommes qui mettront leur honneur à résister avec elles, à les défendre au prix de leur vie.
Mais quand les racismes d’Etat ou les apartheids institués inscrivent une fraction de la population, ici la moitié, comme victimes potentielles d’une intention d’élimination sociale et symbolique et, in fine, partiellement physique, il y a crime contre l’humanité.
Un pouvoir russe qui broie ses opposants
Par Véronique Nahoum-Grappe et Bernard Wach
Publié dans Le mot d'ESPRIT le 29 avril 2021
Au moment où Alexeï Navalny, dernière victime en date de Vladimir Poutine, est en grand danger, un résumé des crimes du pouvoir russe contre ses opposants et la démocratie s’impose. Ces vingt ans de criminalité politique témoignent d’un principe de haine acharnée contre l’État de droit.
« Si on l’avait voulu, l’affaire aurait été menée à son terme ». Lors de sa conférence de presse du 17 décembre 2020, Poutine récuse ainsi les accusations d’empoisonnement d’Alexeï Navalny (20 août 2020). Sur un ton de dérision pétrie de sous-entendus venimeux - un choix de style délibéré et efficace de la rhétorique actuelle du pouvoir en Russie - ce dirigeant d’un grand pays prononce une drôle de phrase : dans la négation même de la tentative d’assassinat, il fait l’aveu de la fierté du crime quand il est réussi ! Ce sont des mots pleins de menaces, et forts de cette majesté que donne l’impunité accordée aux assassinats bien faits. De ces phrases que prononcent les grands maffieux pour laisser entendre que l’habitude de la mise à mort d’autrui en toute impunité constitue leur forme de vie habituelle. Ce qui est, très exactement, la vérité ici. Au moment où Alexeï Navalny, dernière victime de Vladimir Poutine est en grand danger, un bref rappel des assassinats connus du pouvoir russe contre ses opposants et la démocratie s’impose. Il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg : combien de victimes dont la mort fut aussi invisible que la vie ?
"On sous-estime toujours les grands criminels politiques car leurs derniers méfaits font oublier la longue série qui les précède."
Avant cette liste, il faut rapidement évoquer la lourde bibliographie concernant l’histoire du rôle de la Russie sur la scène internationale depuis vingt ans : un pouvoir assis sur la seconde guerre de Tchétchénie (26 aout 1999 - 6 fevrier 2000), une guerre sanglante marquée par les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, qui finit par mettre en place un régime de dictature fanatique et grotesque, soumis au Kremlin. Une guerre qui fut déclenchée par des attentats meurtriers à Moscou, où le rôle du FSB fut très tôt dénoncé dans les enquêtes courageuses de la regrettée Anna Politovskaïa. À partir de là, il faudrait ouvrir l’éventail de la diversité des atteintes aux droits des populations civile dans le monde dont ce pouvoir est responsable, comme la liste effrayante de ses veto à l’ONU, sauvant des régimes assassins de leurs populations tels que le régime syrien. Il faudrait aussi compter ces manœuvres obliques innombrables et de plus en plus dévoilées maintenant, où de sinistres milices clandestines font de sales coups dans l’ombre des guerres d’autrui ; où, dans un autre registre, des armées de hackeurs sont à l’œuvre pour tordre le réel des faits sur les terrains où elles déferlent. Tout cela formant un halo méphitique autour d’actions militaires totalement hors des clous du droit international, actions de prédation là où ce pouvoir pense être dans son pré carré. La stratégie poutinienne au long terme n’est-elle qu’un rêve de retour quasi nostalgique aux frontières de l’empire russe, tsariste ou stalinien ? Pour Marie Mendras, le « système Poutine », peu nostalgique, doit être défini aussi par l’écrasement systémique de tout État de droit au sein de l’espace national. Une foule de manifestants, pacifiques et sans armes, occupant les rues pour revendiquer un État de droit, voilà le pire ennemi du « système Poutine ».
On sous-estime toujours les grands criminels politiques car leurs derniers méfaits font oublier la longue série qui les précède. Ici on ne propose que la liste des crimes avérés, connus mais oubliés. Elle laisse de côté les manœuvres policières et tout un style de répression, comme les passages à tabac par la police ou des groupes nationalistes encouragés par des dénonciations virulentes dans la presse officielle, les menaces permanentes sur les militants, les procès grotesques contre eux, la diffusion aux journaux télévisés de films concernant la sexualité des ennemis politiques, l’instrumentalisation obscène du juridique multipliant les harcèlements policiers, les mises au chômage arbitraires, etc. Ces pratiques concernent tous les militants : syndicaux, écologistes, membres des ONG humanitaires, les artistes, journalistes et avocats qui dénoncent les abus de pouvoir, les crimes, la corruption et les comportements mafieux à tous les étages de la société.
Cette phase de la criminalité d’État post-communiste russe commence avec la seconde intervention militaire en Tchétchénie en septembre 1999, quand Poutine, chef du FSB depuis deux ans, devient premier ministre de Boris Elstine, qui démissionne fin décembre. Poutine est président par intérim, puis président élu avec 52% des voix le 26 mars 2000. En 2021, les manipulations des règles et lois constitutionnelles lui permettraient de rester au pouvoir jusqu’en 2036.
2003 – Assassinat par balles du député et président du parti Russie Libérale Sergueï Iouchenkov.
2004 – Empoisonnement du candidat ukrainien Viktor Iouchtchenko à la dioxyne, probablement par les services russes et ukrainiens.
Octobre 2006 – Assassinat par balles de la journaliste Anna Politkovskaïa. Elle travaillait pour le journal Novaïa Gazeta et enquêtait sur la violation des droits de l’homme par l’armée russe en Tchétchénie et sur l’attentat tchétchène à Moscou. Elle avait été victime d’une tentative d’empoisonnement deux ans plus tôt.
Novembre 2006 – Empoisonnement au Polonium à Londres de l’ancien espion Alexandre Litvinenko.
Janvier 2009 – Assassinat par balles de Anastasia Baburova, journaliste écologiste à Novaïa Gazeta, et de Stanislav Markelov, avocat d’un jeune Tchétchène enlevé et torturé par un général russe et avocat de Anna Politkovskaïa, et de Mikhaïl Beketov, écologiste et rédacteur en chef de Khimkinskaya Pravda, enquêtant sur des faits de corruption, tabassé et invalide depuis son passage à tabac en 2008.
Juillet 2009 – Assassinat par balles à Grozny de la journaliste Natalia Estemirova, membre de l’ONG Memorial. Elle enquêtait sur les crimes de l’armée russe en Tchétchénie et elle avait travaillé avec Anna Politkovskaïa et Stanislav Markelov (crime imputé à Ramzan Kadyrov, l’homme de Poutine en Tchétchénie)
Novembre 2009 – Mort en prison de Sergueï Magnitski. Emprisonné, privé de soin pour des calculs rénaux, il a été battu à mort. Il était un des avocats du fonds Hermitage Capital, confisqué par les mafieux du régime, dont il avait dénoncé la corruption.
2012 – Forte suspicion d’empoisonnement au gelsemium d’Alexander Perepilichny, homme d’affaires russe exilé en Grande-Bretagne et lanceur d’alerte. Le gouvernement britannique nie mais des enquêtes indépendantes auprès de la police et des services secrets confirment l’empoisonnement.
Mars 2013 – Assassinat par strangulation et pendaison de l’oligarque Boris Berezovski à Londres.
Juillet 2014 – Empoisonnement de Timur Kuashev, journaliste et défenseur des droits de l’homme à Naltchik.
Février 2015 – Assassinat par balles à Moscou de l’opposant Boris Nemtsov, membre de Open Russia, créé par l’ancien oligarque Mikhail Khodorkovsky.
Mars 2015 – Assassinat de Ruslan Magomedragimov, autonomiste Lezgin du mouvement Sadval, à Kaspiisk au Daghestan, probablement par la même équipe du FSB qui a empoisonné Navalny. Le dirigeant de Sadval est assassiné à l’arme blanche un an plus tard.
Mai 2015 – Empoisonnement du journaliste Vladimir Kara-Murza, opposant, membre de Open Russia, qui survit à l’empoisonnement.
Février 2017 – Nouvel empoisonnement du journaliste Vladimir Kara-Murza, qui survit.
Mars 2018 – Tentative de meurtre par empoisonnement de l’agent double Sergueï Skrypal et de sa fille à Salisbury (Grande-Bretagne) par deux agents de la sécurité militaire russe.
Avril 2019 – Tentative de meurtre par empoisonnement de l’écrivain Dmitry Bykov, qui affirmera par la suite que c’est un accident.
Août 2019 – Assassinat par balle à Berlin d’un Géorgien d’origine Tchétchène Tornike Kavtarashvili par un agent russe arrêté peu après.
Août 2020 – Empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny, qui survit et est condamné à son retour de convalescence à deux ans de prison ferme pour violation du contrôle judiciaire après une condamnation en 2014.
La répression sans limite de l'opposition continue jusqu'à aujourd'hui, quand Alexeï Navalny est emprisonné après être rentré en Russie malgré les risques, pour continuer à mobiliser l'opposition au régime. Il est malade et reste à la merci du régime, quand bien même il a arrêté sa grève de la faim. Le monde accompagne sa mise à mort programmée, quels que soient les aleas et les retournements de situation dont il faudra faire l'histoire. La décapitation du mouvement social qui le soutient est en cours : le 19 avril, le Kremlin a déclaré comme « terroristes et extrémistes » toutes les associations, institutions et partis qui soutiennent Navalny, ce qui permettra de leurs faire d’iniques procès et d’incarcérer nombre de militants et sympathisants.
Comme sous le régime soviétique et pour plus de quinze ans encore, la Russie broie son opposition qui, elle, ne renonce pas, même minoritaire, avec un courage qui force l'admiration. Il y a eu environ 1800 arrestations lors des manifestations du 21 avril 2021. Pour cela, l’opposition démocratique en Russie mérite tout le soutien possible. Mais autre chose se dégage de toute cette criminalité politique depuis vingt ans, comme son arôme de réduction, son principe essentiel : une haine féroce et acharnée contre le moindre signe de fonctionnement social un tant soit peu démocratique. Cette haine est fondée sur une culture maffieuse qui pose comme source de mâle fierté la violence politique ; et c’est cette culture qui, confondant l’impunité de fait avec la preuve de sa légitimité, permet dans ses guerres sales comme en Tchétchénie et Syrie, l’usage des pires crimes contre l’humanité comme tactique délibérée et normale. Cette haine politique, croissante avec le succès et l’impunité, produit un inassouvissement exponentiel, ce qu’illustre souvent l’histoire des pouvoirs absolus, que les tyrans vieillissants ne peuvent plus imaginer lâcher. Et ils finissent toujours, comme ils ont commencé, par menacer les frontières d’autrui. C’est donc aussi l’avenir de l’Europe qui est en jeu, et qui commande de tout tenter pour sauver Navalny.
Pour une fondation européenne sur la prévention des risques environnementaux et sanitaires |
Pour lire l'appel des signataires et manifester votre soutien |
76 scientifiques européens de haut niveau, de 15 pays, principalement dans les domaines de la biologie, l’épidémiologie, la climatologie, l’environnement lancent un appel à la création d’une Fondation pour la Prévention des Risques Environnementaux et Sanitaires.
Pourquoi soutenons-nous cet appel ?
La crise du Covid 19 a à la fois provoqué des réflexes de repli et révélé des besoins de solidarité à toutes les échelles. Cette ambivalence se reproduira lors de possibles rebonds de ce virus ou de prochaines catastrophes.
L’Europe a été l’une des régions les plus touchées par la pandémie dans les premiers mois de celle-ci. Mais en outre elle a frôlé la fragmentation et elle n’a pas su articuler une vision spécifique, déployer des moyens de lutte efficaces et coordonnés, compatibles avec la vision démocratique européenne, en contraste avec l’efficacité autoritaire de la Chine et le laissez-faire des États-Unis.Le contrecoup économique de la crise sanitaire va creuser les inégalités selon les statuts, les secteurs, les tailles des entreprises, les pays, dans une période où celles-ci se sont beaucoup accrues depuis 40 ans, soulevant des vagues populistes qui menacent le socle des acquis communs.
Dans cette situation, s’il faut renforcer la capacité de la puissance publique, au niveau des collectivités territoriales, des Etats nationaux, il faut aussi que l’Europe trouve, ou retrouve, sa légitimité – et cela ne se fera que par l’émergence d’une vraie citoyenneté européenne, dans laquelle chacun pourra se reconnaître.
Chacun, du plus anonyme, au plus aisé, doit y contribuer. L’idée d’une fondation européenne financée par des personnalités fortunées, adossée à un Conseil scientifique, apporte une réponse forte et exemplaire aux risques qui se sont révélés.
Dans son principe :
Par son fonctionnement :
ICE - 24/06/2020
La COVID-19 et l'Europe
Plusieurs chercheurs sont membres fondateurs d'ICE dont 6 biologistes. Dans cette période singulière, notre intérêt principal pour l'Europe nous conduit à réfléchir sur la réponse européenne à la crise de la COVID-19, aux attentes envers l'Europe, aux difficultés d'y répondre, aux divergences sur les réponses, aux limites à la solidarité européenne, enfin aux améliorations possibles de son fonctionnement. Les actions que nous envisageons de proposer seront à la mesure d'une association ayant peu de moyens propres mais des idées à partager.
A quelques écarts connus près mais pas toujours faciles à expliquer, la COVID-19 a impacté toute l'Europe, et de manière assez similaire.
Des faits marquants et positifs
Les actions de l'Europe pour aider les pays européens soumis à la crise sont nombreuses mais plutôt axées sur l'économie. En effet les politiques de santé relèvent entièrement de la responsabilité des états à l'exception de possibles recommandations de la commission ou du parlement et d'un fond de solidarité en cas de catastrophe naturelle.
Une simple liste en donne rapidement idée (*) :
Mais aussi des manquements et des échecs patents
L'échec le plus grave est l'absence de solidarité et de mise en commun des approvisionnements sanitaires : les états européens se sont concurrencés sur le marché des masques, des médicaments, des équipements au lieu de faire cause commune, avec un impact lourd sur l'approvisionnement lui-même et les prix négociés. Faute de règles de répartition claire, on ne donne pas à son voisin, ce dont on pourrait avoir soi-même besoin. Pour la grande histoire, rappelons que durant la guerre de 14-18 et en 39-40, la France et la Grande-Bretagne avaient mis en commun, entièrement, leurs moyens logistiques et leur approvisionnement sur les marchés internationaux avec un dispositif de répartition équitable entre les deux pays. Jean Monnet, déjà lui, en était un des responsables français.
En l'absence d'une agence de la santé européenne, la France a proposé les essais cliniques de médicaments contre le coronavirus du programme Discovery. Cette étude n'a pas été relayée en Europe. Les autres pays ont plutôt rejoint l'essai Solidarity piloté par l'OMS, ce qu'on ne peut leur reprocher.
Les emprunts directement par l'Europe, autrement dit les eurobonds, se sont heurtés à la pierre d'achoppement bien connue entre. L'Europe « vertueuse » du Nord qui s'oppose à toute mutualisation sans contrôle strict des déficits budgétaires, et l'Europe du sud en difficulté. Cela conduit à une inégalité des taux d'emprunts par les états membres et à des capacités de réaction aux crises variables selon les pays.
L'urgence de la situation n'a pas nettement accéléré les processus de négociation et de décisions du Conseil Européen. Les propositions de la commission ou des conseils des ministres de l'UE doivent être validées par les chefs d'états, parfois par le parlement européen ou encore par les parlements nationaux. Les institutions européennes dépendantes des institutions démocratiques de chaque pays, avec un très faible budget en propre, ne sont pas les mieux adaptées aux situations de crise.
Mais les Etats ne le sont guère plus. La santé relève de leur compétence, mais ils ont montré, à des degrés divers, leur impréparation (notamment en lits de réanimation et dans la protection des personnes âgées vivant dans des institutions) et les lenteurs de leurs bureaucraties à réagir. Sans remettre en cause la souveraineté sanitaire des Etats, il est urgent d'aider au niveau européen, à apporter plus d'agilité et plus de solidarité face à des crises qui ne manqueront pas de se reproduire, toujours différemment.
par Michel Marian et Bernard Wach
(*) Sur les mesures européennes pendant la crise, pour trouver des informations plus détaillées, les dates des décisions, on peut lire Toute l'Europe
Modifié le 30/05/2021