Mission à l’Université de Pristina par Georges Waysand |
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Fiche résumé Ce compte rendu est basé sur les éléments suivants :
Avec les réserves d’usage qu’inspirent ce genre d’exercice effectué en temps limité ces éléments permettent, sans paternalisme, de dresser une esquisse sommaire mais assez claire de la situation et de proposer une démarche qui semble avoir rencontré l’assentiment de tous les interlocuteurs rencontrés. Il s’agit de :
Une telle démarche n’a de sens que si elle rencontre l’assentiment formellement exprimé des partenaires concernés: élus, universitaires, MINUK. Ces thèmes seraient donc soumis à l’approbation des responsables de la société civile (au moins les municipalités des grandes villes et les administrateurs MINUK) et par les universitaires. Si les responsables éducation de la MINUK le jugent utile, un médiateur universitaire n’ayant que cette seule responsabilité mais sans pouvoir de décision serait chargé d’arriver à cette formalisation dans un délai fixé à l’avance (2 mois au plus). Serait alors mise en route l’élaboration de proposition TEMPUS : l’université, en relation avec des partenaires européens ayant déjà des compétences pour l’objectif de formation visé aurait à définir les cursus en fonction de ces objectifs pour des formations bac+3 compatibles avec la déclaration de Bologne. |
1. Conditions de cette mission
Invité par le Centre Culturel Français de Belgrade à l’occasion de la publication de l’édition serbe d’un livre et pour donner un séminaire à l’université alternative de Belgrade (Akademska Alternativna Obrazovna Mreza AAOM), j’ai pu organiser à partir de Belgrade avec l’aide d’Anne Madelain directrice du centre, et Nadine Umbreht sa collaboratrice, un bref séjour à Pristina via le trop fameux pont de Mitrovica.
">Sur la suggestion de Christian Duhamel (MEN, DRIC) j’ai visité les salles de travaux pratiques de l’université de Pristina et dressé l’inventaire détaillé de l’équipement très sommaire dont elles sont équipées. De plus, tant avec les Kosovars non-universitaires avec lesquels je suis en contact depuis deux ans qu’avec les collègues de Pristina et les responsables de la MINUK nous avons discuté des perspectives de cette université. Pendant tout mon séjour j’ai été aidé par Melle Hatidje Murseli (sous contrat DRIC), française albanophone qui travaille à l’université et au Kosovo Education Center, hébergé dans les locaux de celle-ci. En plus de ses activités H.Murseli envisage de permettre aux aux anciens élèves de Medvegjes (Serbie) réfugiés à Fushe Kosovo(4km de Prishtina) de renouer avec l’enseignement du français dont ils bénéficiaient.
Dr Flora BROVINA médecin pédiatre, fondatrice du centre de réhabilitation de l’enfant et de la femme de Pristina (fondation privée) récemment libérée des prisons serbes après dix-huit mois de détention. Nous nous étions déjà rencontré car j’avais participé à Paris les 18 et 19 novembre à son accueil immédiatement après sa libération.
Ajri BEGU, directeur de la Banque Centrale du Kosovo.
Lufti ISTREFI Dr en physique
Shemsi KRASNIQI (sociologue assistant à la faculté de philosophie, coordinateur du centre François Furet)
Pr Kadri METAJ (Philosophe francophone, U de Pristina)
Melinda MULA (assistante en mathématiques et KEC)
Fetah PODVORICA Dr en électrochimie de Paris 7 -Denis Diderot en 1999, asssitant
Hafiq QERIMI Prof de biologie
Ramadan ZELNULLAHU doyen de la faculté des sciences de Pristina, mathématicien
Internationaux :
Siegfried P.W.BRENKE administrateur municipal MINUK pour Pristina
Michael DAXNER Co-Président du département Education et Science de la MINUK
Jens VANG administrateur international adjoint de la MINUK pour l’université de Pristina
Anne MADELAIN (Centre Culturel Français de Belgrade) a passé quatre mois à Pristina en 1999
Hatidje MURSELI (DRIC – MEN France et Kosovar Education Center KEC)
Analphabétisme et faible accès à l’enseignement
Au Kosovo il y a encore 20% d’analphabètes chez les femmes, 18% chez les hommes. Ces pourcentages tombent aux environs de 6% pour les enfants d’une dizaine d’années. Le lycée n’accueille qu’environ 40% des jeunes en âge de le suivre. Seulement 7% des jeunes en âge d’aller à l’université s’y inscrivent après un concours d’entrée.
L’observation d’un séminaire au KEC sur l’efficacité de l’enseignement réunissant une trentaine d’enseignants kosovars du primaire au supérieur dont un tiers de femmes, apparemment tous dans la cinquantaine, donne une idée de leurs interrogations et de leurs revendications. Les conditions matérielles restent difficiles, les effectifs enseignants mal répartis (les enseignements sont organisés jusqu’à quatre vagues successives d’élèves tout au long de la journée) . Tous les intervenants soulignent que leur enseignement est purement théorique (en fait livresque mais il n’y a presque pas de livres). Les enseignants sont sélectionnés négativement : un interprête pour une ONG gagne trois fois fois plus qu’eux, ils font donc des travaux de complément pour améliorer leur revenu. Leurs interrogations : De quelles valeurs sommes nous porteurs ? Saurons-nous former à savoir “lire la vérité” ? Y aura-t-il ou non un institut pédagogique ? Quel chaos professionnel préparons nous ? dit l’un qui met en cause les rapports statistiques formels (sans doute celui du KEC). Qui fait vraiment le travail à domicile ? Comment modifier les méthodes d’enseignement qui deviennent anachroniques et dont l’efficacité a décru ? L’efficacité est-elle mesurée par le % de succès ou par la préparation à la vie ?
Une université sans équipement, des enseignants isolés
La situation dans l’université n’est pas différente, si les locaux sont acceptables, le matériel disponible pour les travaux pratiques en physique, chimie et biologie est littéralement inexistant (1micropipette pour toute la biologie, pas un seul oscilloscope, pas un thermomètre etc… l’inventaire complet est joint en annexe1). Les enseignants kosovars ont eu l’immense mérite d’avoir maintenu l’affirmation d’un droit à la culture et à l’enseignement mais dans la situation présente il est urgent de définir un avenir réaliste et constructif pour une institution dont les membres sont découragés par l’ampleur d’une tâche pour laquelle ils se sentent mal préparés, peu considérés, laissés assez seuls et sans moyens immédiats. On peut comprendre la volonté de la communauté internationale d’évaluer les capacités des institutions et des femmes et des hommes qui les font vivre. Mais, sans perdre de temps, et
avant la prochaine année universitaire il faut redonner espoir en enclenchant, à la faveur du programme TEMPUS, un processus de définition des missions de l’université de Pristina.
Il ne s’agit pas là d’une tâche insurmontable si on convient que Pristina n’est ni Bologne, ni Vienne, ni Cambridge. En discutant avec des figures de la société civile et les responsables de la MINUK les objectifs à poursuivre sont clairs pour tous. Comme en Algérie la moitié de la population du Kosovo a moins de 25 ans avec peu de ressources et pas du tout l’expérience d’une vie sociale démocratique, il y a donc un immense besoin de cadres sociaux. Traditionnellement c’est là un domaine privilégié de l’action internationale de la France. Mais, au Kosovo comme ailleurs cela ne suffit pas. Au courageux romancier soviétique qui jadis avait écrit: “l’homme ne vit pas seulement de pain ”, nous pourrions répondre que, trop souvent, même la boulangerie n’est pas assurée.
Tous mes interlocuteurs, figures de la société civile, responsables de la MINUK, universitaires sont d’accord qu’en matière de formation supérieure il faut aller vers
une université de Pristina qui adopterait comme mission essentielle un enseignement supérieur court à finalités techniques interdisciplinaires axées sur les quatre domaines suivants :
Environnement, Construction, Tissu social, Economie de la gestion .
Quiconque a traversé le Kosovo connaît l’urgence de tout ce qui touche au cadre de vie. Toute la campagne est parsemée d’ordures le long des routes. L’air de Pristina est pollué par la centrale thermique voisine et dans le même temps tous les bâtiments en cours de reconstruction sont des passoires thermiques. Dans un pays au climat continental étouffant mais sans ressource énergétique propre, on ne voit pas de chauffe-eau solaire comme on en Turquie ou en Israël. Dans une zone ou un poëte est le chantre du facisme roumain et ou un ancien élève d’Habermas négociait encore avec Milosevic voici moins de deux ans, il serait quand même raisonnable que la coopération européenne aide aussi à former des citoyens ordinaires, cadres moyens compétents et socialement responsables. Si ce n’est pas le cas l’émigration restera le destin privilégié pour la fraction la plus entreprenante et créative des jeunes générations kosovars, même pour celle qui veut faire des études en sciences sociales… et le sud-est européen restera une terre d’affrontements.
Pour les universitaires de Pristina la possibilité d’entrer dans des programmes TEMPUS pour organiser les formations correspondantes règle à la fois les questions d’ouverture sur l’Europe, de définition des cursus, de mise à niveau, de liens avec des centres de recherche où envoyer les meilleurs étudiants pour des formations conduisant à une thèse. Dans tous ces domaines, même les plus techniques, il est essentiel que qu’une partie des cursus soit consacrée à une ouverture vers les sciences humaines.
4-1 Les actions modestes et immédiates
Si on a pu trouver des fonds pour inviter des recteurs en France, il serait au moins temps de commencer par le commencement : envoyer au Kosovo quelques caisses de matériel de base ainsi que quelques manuels qui font cruellement défaut… à moins que notre politique dans ce domaine ne vise qu’à reproduire les erreurs commises dans nos anciennes colonies. Ce matériel n’a pas besoin d’être acheté à des prix qui laissent rêveur auprès des fournisseurs habituels : dans le cadre de la modification des cursus français il y a toujours des instruments inutilisés dans nos placards de TP etc…
Il conviendrait aussi pour faciliter la mise en place des réponses à l’appel d’offre TEMPUS que H.Murseli soit initiée à ces démarches pour faciliter la participation des uniersitaires de Pristina.
4-2 Une démarche pour définir les grandes lignes d’une université de Pristina
Il y a un consensus implicite pour donner la priorité à la formation d’une couche de cadres socialement responsables et techniquement compétents qui puissent intervenir sur les problèmes à court et moyen terme du Kosovo et peut-être du sud-est européen. Quatre grands thèmes s’imposent pour structurer les cursus :
Environnement : eau, énergie, déchets, restauration des sols.
Construction : urbanisme, travaux publics, génie civil et bâtiment.
Tissu social : formation des enseignants, culture, justice, services sociaux, femmes, jeunesse et sports.
Economie de la gestion : Gestion et organisation des actions publiques et des petites et moyennes entreprises.
Ceci posé, chacun sait que les oukazes ne servent à rien , je me permets donc de suggérer une démarche en deux temps qui dégagerait un accord explicite sur ces objectifs que l’université aurait la responsabilité de concrétiser :
Phase 1 - ouvrir une discussion, avec au moins les responsables des grandes villes du Kosovo qui viennent d’être élus et, s’il le faut, avec des personnalités de la société civile pour qu’ils s’expriment sur ces thèmes majeurs de telle sorte que les objectifs retenus soient les leurs et correspondent à des souhaits effectifs et une compréhension claire de la démarche.
Phase 2 - les thèmes majeurs ayant été définis par la société civile et la MINUK, inviter les universitaires de Pristina à construire un nombre limité de cursus répondant à ces objectifsm, notamment en profitant du programme TEMPUS
Une telle démarche n’a de sens que si elle rencontre l’assentiment formellement exprimé des partenaires concernés: élus, universitaires, MINUK. Ces thèmes seraient donc soumis pour avis aux responsables de la société civile (au moins les municipalités des grandes villes et les administrateurs MINUK) et aux universitaires.
Si les responsables éducation de la MINUK le jugent utile, un médiateur universitaire européen pourrait éventuellement être chargé d’arriver à cette formalisation dans un délai fixé à l’avance (2 mois au plus). Il n’aurait que cette seule responsabilité et il serait clair pour tous qu’il n’a aucun pouvoir de décision . Serait alors recherchée la mise en route de propositions TEMPUS. L’université, en relation avec des partenaires européens ayant déjà des compétences pour l’objectif de formation visé aurait à définir les cursus en fonction de ces objectifs pour des formations bac+3 compatibles avec la déclaration de Bologne.
Trois remarques complémentaires:
Toutes les formations, aussi pointues qu’elles soient, doivent être basées sur un socle de connaissances de base effectivement dominées, c’est-à-dire pas seulement théoriques : il faut savoir faire et pas seulement mémoriser.
Ces formations réclament de l’instrumentation scientifique et technique. Conformément à la pratique actuelle à Pristina ce matériel doit être mis en commun et installé dans le “laboratoire central” envisagé par la MINUK de telle sorte que les projets d’étude soient, dès l’origine, proches des actions liées aux thèmes majeurs (par exemple pour la gestion des eaux ou les économies d’énergie les projets des étudiants doivent fournir des résultats tangibles et utilisables).
Il est aussi indispensable que des enseignants de langue, philosophie et sciences humaines interviennent dans ces formations qui doivent avoir une composante citoyenne ( respect de l’autre, démocratie sur le lieu de travail, sensibilisation à la dimensions sociale des problèmes technique…).
Ces cursus – pour la partie technique- seraient établis en liaison avec des établissements enropéens qui ont déjà une expérience dans ce domaine et seraient les partenaires pour des propositions de projets TEMPUS.
Annexe 1 - Inventaire exhaustif du matériel scientifique de l’université de Pristina (7 décembre 2000)
PHYSIQUE (80 étudiants en première année):
Salle de physique environ 48m2 :
2 planches pour TP sur la triode
1 alimentation courant continu
1 alimentation pour filaments de lampes ( 6,3 V)
2 ponts de Wheastone (différents l’un de l’autre et fort bricolés)
1 calorimètre très mal isolé
1 banc d’optique avec DEUX lentilles effectif total) et source lumineuse
1 montage pour la mesure de P=VI comparée aux indications d’un wattmètre
1 moteur électrique bas voltage
2 balances romaines avec quelques poids
Deuxième salle de physique même superficie :
une dizaine d’ampèremètres et de voltmètres à aiguille pour tableau, très anciens.
quelques générateurs basse fréquence.
1 appareil Hoffmann très ancien pour l’électrolyse de l’eau
Une salle d’optique occupée par un spectrographe avec la lampe à arc et l’électronique en panne (Karl Zeiss)
Une salle de physique générale minimaliste pour chimistes et biologistes et élèves de la faculté d’agriculture, émouvante par son dénuement et l’intelligence d’un ensemble de montages faits avec des verreries et tuyaux en caoutchouc disparates : mesures de densité, viscosité, tension superficielle, loi de Mariotte, rapport Cp/Cv, loi d’Archiméde
BIOLOGIE (180 étudiants en première année, 120 en deuxième)
salle de cours de biologie générale :
collection de quelques squelettes d’oiseaux, poissons, mammifères, crustacés
une collection de très vieilles planches de biologie cellulaire dans le couloir
12 statifs de microscopes dont seulement 6 équipés de leur ensemble de lentilles (x8,x40,x90)
pas de centrifugeuse ( il y en a une à la faculté de médecine à 1km), pas de hotte, 16 tubes à essai pour toute verrerie, pas de réactifs : rien d’actuel.
salle de biochimie : vide
rien sur la biologie moléculaire
PHYSIOLOGIE (en troisième année)
2 microscopes comme ci-dessus
1 balance Mettler type Z5 rouillée ( années 50 ou 60)
2 stérilisateurs hors d’usage et sans thermomètre
autres locaux :
2 fours à sec 500°
1 spectrophotomètre Milton Leroy Spectronic 1201 fourni jadis par UN development program, en panne
1 fluorimètre Perkin Elmer type LS-2B qui n’a jamais marché (UN development program aussi)
1 spectrophotomètre Philips PU 8720 UV/visible don personnel
1 balance de précision vieux modèle mécanique Sautter (Allemagne) appartenant à la faculté d’agriculture
1 distillateur d’eau archaïque ( en laiton !), l’eau distillée est en fait obtenue dans un site industriel de la région
1 seule micropipette pour toute l’université
deux douzaines de tubes à essai constituent toute la verrerie. Il n’y a strictement rien d’autre.
Selon F.Podvorica la faculté technique que je n’ai pas eu le temps de visiter ne contient rien, tout ayant été emporté par les serbes.
Cette détresse se passe de commentaire et réclame qu’on y pallie par un envoi, si modeste soit-il, de matériel pour le premier cycle. Il faut souligner que la situation a forcé nos collègues kosovars à metttre en commun les maigres ressources disponibles. Cette attitude doit être encouragée, à la fois pour éviter les doublons et en même temps parce qu’elle est indispensable pour des enseignements courts nécessairement pluridisciplinaires.
Annexe 2 - Visite du centre de réhabilitation de l’enfant et de la femme de Flora Brovina en compagnie de celle-ci.
Il s’agit d’une maison qui offre une surface habitable d’environ 200 m2 et qui s’occupe de 387 orphelins et 240 mères en détresse. Ce n’est pas un orphelinat et le bâtiment, même avec ses imperfections de détail, tranche sur tout ce qu’on voit à Pristina par le soin mis à son apparence. Les enfants retournent le soir dans la famille élargie dont ils proviennent . Dans le centre, ils sont constamment sollicités par de nombreuses activités, toujours effectuées en groupe (chant, danse, jeux, cours de langue) à l’exception du travail à l’ordinateur et des ateliers de peinture. Les mères reçoivent un soutien psychologique et apprennent la coupe des vêtements et la coiffure. Le centre est le cœur d’un réseau de groupes similaires, Racak, Djakova, Ravetz, Dachan, Kruche, Dranica, Malicev, Soarek, Podjeva, Feresaj (orthographes approximatives) . Il n’y a pas de local spécifique dans ces localités, les cours et les activités pour les mères ont lieu dans des locaux scolaires.
Il s’agit toujours de faire respecter les droits des enfants et de femmes et de développer de la petite économie. Flora Brovina est convaincue que si ce type d’activité ne prend pas une plus grande ampleur, la destruction des structures familiales créera de sérieux problèmes dans deux ou trois ans. Son objectif est de créer un fonds pour ces enfants grâce à un comité de soutien réunissant des Albanais et des donneurs internationaux.